Le nouveau métabolisme urbain d'Aubervilliers

Ce modèle est pensé dans un cadre productif et alimentaire précis : la totalité de la production se fait en agriculture biologique tandis que le régime alimentaire des habitants est très peu carné.

Les étudiants de l’institut désormais disparu “Ecole d’Urbanisme de Paris” avaient appliqué un modèle à la ville d’Aubervilliers ; celui de la ville du tiers qui suppose de consacrer un tiers de l’espace foncier à une vocation productive. Selon eux, la ville du tiers est un nouveau modèle de fabrique de la ville dans lequel un tiers de l’espace est donc dédié à la production alimentaire. Ce modèle est pensé dans un cadre productif et alimentaire précis : la totalité de la production se fait en agriculture biologique tandis que le régime alimentaire des habitants est très peu carné. Cette hypothèse s’est avérée juste et depuis, tous les efforts de la commune se sont tournés vers des pratiques agricoles respectueuses de l’environnement et une promotion active du régime végétarien : une politique publique qui a désormais porté ses fruits ! 

Dans cette idée, les étudiants ont voulu intégrer ce tiers productif en le rendant accessible et appropriable par les habitants. Cette étude ayant été en partie reprise par l’équipe municipale, ceci explique l’omniprésence des paysages comestibles dans nos rues et nos quartiers.

Afin de mieux comprendre les idées ayant donné naissance à cette utopie, replongeons nous ensemble dans la construction d’une partie de ce modèle, celui des quartiers du tiers …

Lire cette étude c’est mieux comprendre l'organisation d'Aubervilliers aujourd'hui !…

2024

“Dans l’idée d’un quartier où la centralité sociale reposerait sur l’alimentation nous avons dans un premier temps décidé que chaque entité devrait comprendre une ou plusieurs écoles ; cette proposition est à la croisée de plusieurs éléments de notre diagnostic.

L’idée est de s’appuyer sur des bâtiments publics existants afin d’y pratiquer de nouveaux usages comme l’éducation à l’alimentation. Nous avons pensé que les écoles pouvaient remplir une telle fonction. En effet, elles sont de sociabilisation pour les enfants et nous supposons qu’elles en représentent un pour les parents également. 

La carte scolaire permet l'affectation des élèves au plus proche de leur lieu de résidence, et si quelques stratégies de contournement existent, nous pouvons faire l'hypothèse que les élèves, mais aussi leurs parents, sont des groupes sociaux qui évoluent dans un périmètre assez restreint autour de leur établissement scolaire de référence. La population de la commune est, en grande partie, plutôt jeune (environ 60% de la population a moins de 44 ans - données INSEE 2020). Par ailleurs, ce sont près de 44,8% de ménages avec enfants ou de familles monoparentales qui composent la commune. Finalement, l'hypothèse de la socialisation dans un périmètre restreint qui s'organise autour des écoles de secteur semble admissible pour près de la moitié de la population. Nous avons donc choisi de retenir le critère de la carte scolaire pour créer ces entités productives. Et s'agissant de l'autre moitié de la population albertivillarienne, il s'agira de faire des écoles des lieux publics accessibles à tous.tes. Ainsi, les écoles étant des lieux de sociabilisation préexistants, il est pertinent de les intégrer dans un objectif de transformation urbaine sociale et solidaire. Bien que l’école soit donc déjà un lieu de sociabilisation pour une partie des albertivillariens, nous souhaitons ouvrir le spectre du public touché par ce lieu de sociabilisation en faisant des écoles un lieu pivot de la nouvelle politique albertivillarienne centrée sur l’alimentation (cuisine collective, cours en parc urbain (productif ?), bibliothèque ouverte le soir et classes qui deviennent cantine populaire …).  

Il existe déjà un découpage au sein de la commune d’Aubervilliers en « quartier de démocratie participative et de développement local ». Au moins une école est présente dans chacun de ces quartiers.  

La commune d’Aubervilliers a déjà effectué un découpage en « quartier de démocratie participative et de développement local » comprenant chacun au moins une école que l’on trouve ci-dessous :

À cela s’ajoute une synergie et correspondance entre notre vision d’une centralité sociale au niveau des écoles et un découpage se basant sur une vie associative et de quartier préexistant. En effet, ces quartiers créés en 1977 sont des centralités dans lesquelles une gouvernance est déjà déployée (les élus référents se réunissent une dizaine de fois par an afin d’être partie prenante des choix municipaux). Des conseils de quartier s’y déroulent régulièrement et une cohésion peut donc s’y déployer au travers d’activités associatives ou de lieux d’échange. Dans l’idée d’une ville nourricière solidaire, intégrant les habitants au processus nourricier, cette superposition des deux entités (écoles + quartier de démocratie participative et de développement locale) semble pertinente. 

Dans un troisième temps, nous avons décidé de croiser ce premier découpage avec la carte densités.

Ces dernières n’étant pas forcément homogènes, nous avons également pris en compte les différentes morphologies d’habitat (grands ensembles, zones pavillonnaires) afin de ne pas freiner des sociabilités de voisinages. Ainsi, les caractéristiques du centre-ville très dense ne rejoignent pas les problématiques et les solutions du tissu pavillonnaire et des grands ensembles. Sachant cela, pour que notre découpage par quartier corresponde à un schéma de gouvernance et de propositions cohérent nous avons utilisé les quartiers de démocratie en base pour les redessiner à la lumière des densités et du tissu urbain.

De cette logique sont nées plusieurs modifications ; beaucoup de ces quartiers de démocratie participative se trouvent délimités par des axes routiers importants (par exemple la frontière entre les quartiers « Robespierre, Cochennec, Peri » et Maladrerie Emile Dubois est la D27); or la route départementale ne nous semble pas être un obstacle au déploiement de formes de sociabilité. En revanche, les types d’habitat peuvent en être un et par conséquent, couper un grand ensemble ou un quartier pavillonnaire ne nous est pas apparu comme pertinent. En effet, le voisinage nous paraît se déployer plus facilement au sein d’unités morphologiques d’habitat. C’est pourquoi nous avons considéré qu’une sociabilité préexistait au sein du quartier pavillonnaire malgré la séparation par la route. Nous avons également voulu mêler ce quartier pavillonnaire aux quartiers de grands ensembles afin d’encourager les échanges et les synergies habitantes : ainsi les deux types de tissu urbains cohabitent au sein de la même entité permettant les connexions et les échanges sociaux entre habitants de quartiers morphologiquement différents.

Enfin, le quartier ouest étant notre « quartier à transformer », le quartier test de la ville du 1/3, nous avons exclu la zone habitée au nord du quartier « Landy Plaine Marcreux Pressensé » pour la raccrocher au quartier centre-ville à l’est du canal. Les deux rives étant reliées par un pont à ce niveau du canal, il nous a semblé que le canal ne présentait pas une frontière trop hermétique entre les côtes est et ouest du canal à ce niveau-là.

Le nouveau découpage se dessine ainsi comme ceci : 

Se présentent ainsi trois typologies de quartier: 

  • Les quartiers 8, 3 et 5 présentent des densités très fortes mêlées de zones de grands ensembles aux densités moyennes.

  • Le quartier 6 regroupe l’ensemble des zones pavillonnaires de densité moyenne avec un espace de densité élevée de grands ensembles. Il n’y a qu’une seule zone pavillonnaire à  Aubervilliers et cette dernière se trouve dans ce quartier. Ainsi, cette morphologie de quartier présente donc sa propre typologie.   

  • Les quartier 1, 3 et 7 sont les quartiers denses d’Aubervilliers

  • Le quartier 2 est entièrement consacré à la production (à nuancer pour conserver le bâti le plus résistant et qualitatif pour servir la logistique)

Les espaces productifs au sein de ces quartiers

Cette découpe en quartier nous permet donc d’avoir une approche métabolique de la ville du tiers. Pour cela, nous avons donc essayé d’estimer les espaces potentiellement mobilisables pour une mise en production au sein de ces différents quartiers. Pour cela, nous avons donc déterminer les surfaces :

  • Des friches urbaines

  • Les parkings

  • Des espaces verts 

  • Des pieds d’immeuble de grand ensemble

Nous obtenons ainsi les résultats suivants :

Nous précisons que pour obtenir l’aire des espaces en pied d’immeuble des grands ensembles nous avons d’abord déterminé les aires des grands ensembles auxquelles nous avons soustrait le bâti, les espaces verts et les parkings, nous donnant ainsi les résultats suivants :

Nous avons ensuite décidé de croiser nos nouveaux quartiers avec des données métaboliques de production agricole : nous avons commencé par déterminer compost nécessaire par hectare et donc à la quantité de biodéchets nécessaire à cette production de laquelle nous pouvons déduire un nombre d’habitants minimum par quartier et aussi pour toute la ville d’Aubervilliers. Ces données servent à nourrir deux visions productives

  • La quantité d’engrais (compost) nécessaire si toutes les surfaces immédiatement disponibles étaient mises en culture.

  • La quantité d’engrais (compost) nécessaire si le scénario de la ville du 1/3 est atteint.

Ces données s’appuient sur plusieurs réalités mathématiques; premièrement selon l’ADEME, un habitant produit en moyenne 83 kg de biodéchets par an. Sachant que 1 kg de biodéchets ne donne pas 1 kg de compost mais que le processus comprend une déperdition de 35% de matière, il faut donc ajouter 350 kg de biodéchets afin d’obtenir une tonne de compost. Selon Jean-Paul Thorez et Brigitte Lapouge-Déjean dans “le guide du jardin bio”, un épandage de compost de 4mm d’épaisseur est nécessaire pour maintenir un sol suffisamment nourri ce qui nous donne 30 tonnes par hectare. 

A la lumière de ces données, nous avons produit un tableau récapitulatif du nombre d’habitants nécessaire à la production de biodéchets suffisant pour les surfaces productives d’Aubervilliers.  

Ce tableau met donc en lumière la nécessité d’une population importante (93 553 étant supérieur à la population albertivillarienne en 2024) afin de produire une quantité suffisante de compost pour fertiliser ⅓ de la surface de la ville. La force de la ville pour servir la campagne et plus généralement, les espaces de culture, est donc la densité et sa population. 

Cette logique s’applique aussi aux excrétas humains comme l’urine. Dans cette optique nous avons pensé à équiper les logements de récupérateurs d’urines dans une optique de valoriser les urines en tant qu’engrais naturels. Ces dernières pourraient, à termes, être une une ressource échangeables pour que la ville dense produise des ces engrais naturels en échange de denrées alimentaires. 

Dans cette idée, nous avons calculé la surface productive pour laquelle la population d’Aubervilliers pourrait fournir des engrais. Une partie de ces engrais serait utilisée pour le tiers productif tandis que l’excédent pourrait être valorisé et échangé. 

Pour se faire nous nous somme basés sur le rapport de 1L d’urine pour 1,5m² de surfaces productive fertilisables. En prenant en compte l’idée qu’un humain produit une moyenne de 1,7L d’urine par jour soit 620,5L par an, nous avons calculé la population habitante nécessaire à la production de fertilisants (calculés précédemment) afin de  fertiliser le tiers productif et le potentiel global de terres fertilisables par la population actuelle d’Aubervilliers.

Ainsi, nous obtenons les résultats ci-dessus et la ville d’Aubervilliers pourrait donc fournir les engrais nécessaires à une production s’étalant sur 8 107 hectares  permettant par exemple de fournir des céréales en agriculture biologique pour 405 332 personnes (en surface mécanisée) ou 180 148 personnes (en surface mécanisée). 

Nous avons ici tenté de mener une approche métabolique de la ville du tiers en nous concentrant sur les besoins de la production agricole. Nous avons conscience qu’il y a une grande absente à cette approche: l’eau. A ce propos nous notons que la pluviométrie représente 70 fois le volume d’eau nécessaire pour arroser les 192 hectares productifs de la ville du tiers et pensons donc que la solution pour la gestion de l’eau consisterait à trouver une solution pour récupérer 1/70 de la pluie pour irriguer les cultures. Penser l'irrigation c’est donc questionner les réseaux : a ce titre, l’échelle du quartier peut être une échelle pertinente pour installer des récupérateurs et ainsi avoir une gestion de l’eau à l’échelle micro : du jardin, de la parcelle et de la rue par exemple. A noter que la disponibilité en eau de pluie reste une donnée contrainte dans sa visibilité à long terme par le dérèglement climatique : penser la résilience de la ville du tiers c’est donc constamment intégrer ce phénomène aux logiques de cultures.

Concernant le reste de notre approche,  nous avons donc montré qu’en mobilisant l'entièreté de la rive gauche et tous les espaces potentiels des autres quartiers d’Aubervilliers le tiers productif était atteignable. Ce dernier pourrait trouver ses intrants au sein même de la commune grâce à sa plus grande richesse: ses habitants. Fertilisants et engrais naturels pourront donc abreuver ces terres productives de façon durable en mobilisant les grands principes de l’économie circulaire. Dans ce travail, nous montrons que le tiers productif est atteignable sans destruction majeure et donc sans déplacement de population ou expulsion. Dans le cas de notre étude à très long terme, penser la transformation de certains quartiers denses peut se concevoir et la capacité productive de la ville peut encore progresser afin de dépasser cette limite du tiers. En effet, dans cette approche, avoir découpé la ville en “quartiers du tiers” permet une lecture de l’espace urbain avec une approche productive et permet  donc de déceler les zones de la ville où l’accès à la terre est le plus faible et donc potentiellement là où une dédensification peut s’opérer.”