Qu’est-ce qu’un urbaniste dans une ville nourricière ?

Quand on voit ce qu’est devenu le métier d’urbaniste en ce 22ème siècle, il est difficile d’imaginer quelles étaient les attributions de cette profession il y a cent ans.

Quand on voit ce qu’est devenu le métier d’urbaniste en ce 22ème siècle, il est difficile d’imaginer quelles étaient les attributions de cette profession il y a cent ans.  En 2024 le groupe d’étudiant.es en charge de penser la transformation d’Aubervilliers en « ville du tiers » s’est aussi penché sur la transformation de leur futur métier d’urbaniste à travers les enjeux de la ville nourricière. Replongeons-nous ensemble dans leur vision …

Pour mieux comprendre, il faut regarder ce métier tel qu’il était en ce début de XXIème siècle ; la ville était alors imaginée et produite à la fois par des acteurs publics et des acteurs privés. Si être un urbaniste à l’époque était à la fois être coordinateur et penseur de projets urbains, ce champ d’expertise s’était progressivement répandu au sein d’une multitude de structures privées notamment chez les promoteurs immobiliers (L. Peynichou, 2018) ; au point de perdre la pertinence et la particularité du métier qui se trouvaient alors diluées dans les enjeux financiers de la production urbaine ? C’est par cette question que les étudiants d’alors s’étaient intéressés au sujet. Partant du postulat qu’être urbaniste c’était aussi servir les habitants par la lecture des particularités socio-démographiques de la ville et de ses quartiers, et d’être capable de lier des enjeux réunissant plusieurs échelles tout en conscientisant la nécessité de répondre à des choix politiques, ils se sont alors saisis de la question alimentaire urbaine par ce prisme. Ainsi, dans leurs mains, l’agriculture devient un moyen de démocratie locale, de réappropriation de la ville et de sa fabrique par les habitants tout en répondant à des enjeux de sécurité alimentaire. De plus, elle permet de tisser des liens interterritoriaux et interhumains entre milieu urbain et milieu rural et plus généralement, est un moyen de renforcer l’accessibilité à une certaine nature au sein des milieux artificialisés.  La ville ne serait donc plus uniquement corrélée à son facteur d’attractivité économique et d’employabilité (1) mais serait donc jugée sur d’autres critères comme son degré d’autonomie alimentaire, la diversité de son offre alimentaire produite localement, l’accessibilité de cette offre, la quantité et l’accessibilité d’îlots de fraîcheur qu’elle possède ou encore sa résilience face aux canicules ou évènements climatiques extrêmes.

De ces postulats, ils ont alors imaginé le champ des possibles des évolutions qui toucheraient le secteur de l’urbanisme ; sans apporter une description précise du futur métier, il s’agissait plutôt de mettre en lumière les grandes questions qui pourraient transformer le secteur. Cet article sert donc à rendre hommage à leurs écrivains en exposant leurs visions passées.

(1) Brunet, Carole, et Géraldine Rieucau. 2019. «Mobilités géographiques, emplois et inégalités ». Travail et emploi 160 (4): 5-22.

La question du métier : La production alimentaire, et plus généralement les enjeux de biodiversité et d’accès à la nature, soulèvent des questions d’expertises nouvelles pour des urbanistes pour lesquels ces sujets ne sont pas ceux de prédilection. Par cela, la ville est amenée à se transformer tout comme les professionnels de la ville : ces changements pourront prendre la forme d’une fragmentation au sein d’une multitude de champs différents avec un urbanisme devenant une formation annexe au sein de métiers scientifiques. Verra-t-on apparaître des urbanistes-agronomes, des urbanistes-écologues, des urbanistes-pédologues ? Ou bien le métier d’urbaniste restera-t-il une discipline spécialisée chargée de mettre en lien et en relation ces experts au service de la production urbaine ? Si ce scénario devient le présent de l’urbanisme de 2124 cela pose la question de l’existence de structures chargées de faire ce pont : afin de répondre au principe d’intérêt général, l’idéal serait alors de créer des structures publiques dédiées, potentiellement directement intégrés à des structures de gouvernance donnant une place de choix aux habitants. Cela permettrait alors de tendre un fil entre les citoyens et la science au service de la production de la matérialité de leur environnement : la ville.

De plus, en imaginant que l’urbaniste est donc toujours intégré au sein d’un schéma décisionnel politique, il est important de penser le futur de la planification. Dans cette optique, la question alimentaire pourrait bouleverser les échelles de réflexion : le territoire urbain pourrait par exemple ne plus se concevoir sans son territoire nourricier, et l’échelle régionale actuelle pourrait disparaître au profit d’une conception géographique se basant sur des critères environnementaux : la bio-région et son avènement pourrait alors remettre en question les échelles administratives actuellement connues. De manière plus spécifique, la question nourricière pourrait pleinement rentrer dans le champ d’expertise de l’urbaniste du futur notamment en termes de risques alimentaires : aussi bien en termes d’égalité d’accès des citoyens à une alimentation suffisante et de qualité que dans la gestion des risques climatiques sur les cultures.

La question du sol : Dans l’imaginaire d’une ville nourricière, le sol n’est plus uniquement le support de la production physique de l’habitat et des fonctions urbaines et donc un support à la croissance mais retrouve une valeur propre, en dehors de sa valeur d’usage. Le sol vivant se doit d’être préservé à la fois pour une potentielle mise en culture mais aussi pour ses capacités à accueillir des formes de biodiversité. 

A la lumière de la loi ZAN (Zero Artificialisation Nette) qui restreint les possibilités d’artificialisation en dehors des frontières de la ville, le besoin de terre productive à l’intérieur de cette sphère crée alors une pression supplémentaire dans la conception des projets urbains : on pourrait alors parler d’une augmentation du « coût de l’erreur », chaque artificialisation de parcelle se doit d’être pleinement justifiée et cohérente puisqu’il ne s’agit plus de pouvoir voir la ville comme une éternelle extension et reconstruction permanente. Cette vision se retrouve renforcée par le poids écologique du secteur du bâtiment. Cela pose alors la question d’une potentielle restructuration des compétences des urbanistes qui ne seraient plus liés à des projets urbains d’envergures mais se rétracteraient à des échelles plus fines, de l’ilot voir du bâti lui-même. Ainsi, il s’agit de pouvoir penser avec l’existant, en prenant en compte l’adaptabilité des formes aux transformations des usages et aux transformations de la ville elle-même. La question agricole pose par exemple la question d’un retour des besoins de stockage à l’intérieur des villes ce qui pousse à considérer la préservation des ces espaces mais aussi d’une manière plus avant-gardiste à l’adaptation des immeubles à cette nouvelle demande.

La question des modes de vie : Positionner la préservation du sol au centre des enjeux urbains de demain ouvre aussi un débat sur les changements de mode de vie. En effet, la réversibilité des projets porte en elle la fin des opérations qui pourraient artificialiser ou alourdir les coûts d’une future mise en culture ; ainsi, les réseaux urbains et les fondations sont des concepts pouvant être rediscutés voire considérés comme obsolètes à l’aube du 22ème siècle. Dans cette idée, on peut penser des modes d’habiter différents au sein de structures plus légères voire déplaçables ce qui remet alors en question la forme historique des villes européennes ; les sociétés deviendraient plus mouvantes se rapprochant du nomadisme. En ce sens, l’urbanisme devient alors une science d’accompagnement de ce mouvement, sur une surface dont les valeurs productives et vivantes deviendraient inamovibles et prioritaires.